vendredi 7 août 2015




A l'occasion de la promotion Kindle Countdown Deal du 5 au 12 aout de AMINA TALES Tome 1 , l'auteur vous offre le chapitre 1.
 Bonne lecture !






Chapitre 1
Soleil noir


Amina observait le spectacle qui s'offrait à elle derrière les colossales baies vitrées de la station. Il y avait là un astre pourpre en train de mourir. Tout le monde le savait.

Ils étaient nés avec cette certitude, comme leurs parents, et les parents de leurs parents. Depuis si longtemps que la jeune fille pouvait à peine l'imaginer.

Tout était en train de mourir, le soleil, les gens, chaque chose s'éteignait à petit feu comme la flamme d'une bougie au petit matin. Pourtant non loin d'elle Paul et Catherine Tales souriaient en se tenant par la main, insouciants, presque désinvoltes. C'était incroyable, malgré le monde qui s'écroulait son père et sa mère restaient là à ne rien faire, admirant comme elle les teintes orangées qui se diffusaient dans l'espace.

— Maman, est-ce qu'on retournera un jour en ville ? Celle des manèges et des magasins, quand j'étais petite ?

— Tu sais bien qu'il n'y a plus d'énergie là-bas, il y fait encore plus sombre qu'ici... Mon ange, les manèges ne tournent plus et les boutiques sont fermées depuis longtemps... Il n'y a plus rien à y faire,  répondait toujours Maman avec son petit air triste.

Puis elle se retournait vers son Père avant de le regarder longuement dans les yeux. Ils étaient comme deux amoureux au premier jour, après le premier baiser.

— Ne restons pas là trop longtemps, dit le Père, ça va être l'heure des ombres, c'est dangereux. Rentrons.

— Et si on en rencontre une en chemin ? Demanda Amina.

Papa hésita une seconde puis malgré le regard désapprobateur de sa femme il fouilla dans la poche de sa grande combinaison de travail, celle qu'il avait recommencé à mettre à cause du froid de plus en plus mordant.

— On a ça, dit-il, en montrant à Amina un long couteau de cuisine qui tenait bien en main.

Amina était impressionnée mais pas trop. Elle savait bien que son Père tentait de la rassurer mais qu'on ne pouvait rien faire contre les ombres. Elle se mit à penser à ces pauvres gens qu'ils avaient vus se faire agresser une ou deux semaines plus tôt. Ou peut-être trois semaines... Cela devenait difficile de se rendre compte du temps qui passe dans toutes ces pièces obscures et déprimantes.

C'était un couple, comme ses parents, avec un petit garçon très jeune à leur côté. Le petit gambadait à dix mètres des adultes, il était déjà trop en avant, hors de portée. Ils avaient l'air perdus, certainement à la recherche d'un nouvel abri dans l'une des salles de la périphérie. Mais soudain ils n'étaient plus que deux, le petit garçon avait disparu sans un bruit.  Alors la mère s'était mise à pousser le cri le plus étrange qu'Amina ait jamais entendu, une longue plainte profonde et viscérale qui faisait froid dans le dos. Elle tombait lentement à genoux pendant que l'homme l'entourait de ses gros bras comme pour l'empêcher de se répandre par terre, de disparaître à son tour. Ils avaient pleuré tous les deux, longtemps, avant de se relever pour continuer tout simplement leur chemin avec résignation. Ils n'avaient pas cherché l'enfant, c'était peine perdue. Amina le savait car comme eux elle avait aperçu l'ombre noire et sa crinière poisseuse se déplacer entre les portes. Quand on voyait ça, pas la peine de chercher plus loin, tout le monde le savait de ce côté-ci de la station. L'ombre avait aspiré le gamin, et celui-ci allait rejoindre le Paradis, comme disait Papa.

De toute façon tout le monde allait disparaître, alors un peu plus tôt, un peu plus tard...

Amina se rapprocha de sa mère, cherchant le réconfort de son corps entouré de toutes sortes d'habits et de foulards amassés les uns sur les autres pour résister au gel. La femme de trente-sept ans savait qu'elle était gravement malade, avec des regains d'énergie et des moments où elle était alitée, incapable du moindre effort. Dans ces moments-là elle semblait très vulnérable aux écarts de température et il était vital qu'elle soit constamment à l'abri d'un coup de froid. Les systèmes de ventilation se mettaient en route aléatoirement, tout comme la climatisation, avant de s'arrêter pour redémarrer n'importe quand. L'énergie diminuait inexorablement. Amina avait aussi revêtu des tonnes de tissus et pourtant elle avait toujours froid au plus profond d'elle-même, comme si de la glace se mettait parfois à couler dans ses veines juvéniles. Au contraire de sa mère elle était en relative bonne santé, mis à part ce drôle de psoriasis à la base du cou, un vilain truc qui donnait l'impression que sa peau allait se décoller et sur lequel on appliquait tous les matins une pommade à base de vitamine A. Elle avait ça depuis l'âge de cinq ans... A chacun sa croix !

A l'extérieur, le soleil lui ressemblait. Il semblait envahi par des fleuves de neige pourpre, les explosions à sa surface évoquant de l'eau versée sur de l'huile bouillante. Tout allait s'arrêter bientôt, Maman, Papa, le soleil, tout. Amina sentit monter en elle une tristesse qu'elle ne soupçonnait pas, un sentiment plus adulte, plus consommé. Plus cela approchait et plus elle se sentait grandir. Et les larmes ne tardèrent pas à couler en gelant sur la peau blanche de ses joues... Elle allait devoir mourir, les quitter. Jamais plus elle ne les reverrait. Papa avait beau lui raconter toutes ces choses sur le Paradis, elle n'était pas bien sûre que tout ne soit pas qu’un simple conte pour enfant. Cela paraissait si naïf ! Plus personne ne racontait ces choses-là dans la station. Sauf son père qui afin de rassurer son enfant chantait les louanges d’un monde après la mort.

Mais il racontait aussi qu'il avait vu Dieu. Selon lui il était même possible de lui parler au centre de la grande roue.

Lorsque son père partait dans ce genre de délire, Amina se faisait toute petite. Elle n'osait le contredire, ni même l'interrompre. Elle écoutait sagement les instructions, toujours la même litanie : "si un jour tu te retrouves seule au monde, va trouver Dieu dans le réfectoire au centre de la station, c'est ton seul espoir". Cela faisait des années qu'il sortait ce genre d'âneries.

Après quoi Paul Tales se refermait, comme s'il avait perdu la tête et regrettait d'en avoir trop dit. Comme s'il était coupable de croire en un Dieu qui laissait l'obscurité tomber sur le monde.

Près du hangar numéro quatre se tenait leur petite cabane, faite de vieilles tôles provenant des débris de navettes mises au rebut. Il y avait aussi un petit atelier où Paul Tales bricolait toutes sortes d'objet bizarroïdes auxquels elle ne comprenait rien. Amina ne se rappelait pas trop comment ils étaient arrivés ici. Tout ce qui concernait l'époque où ils avaient quitté leur maison était flou dans son esprit : elle se souvenait vaguement d'une fuite, d'un départ précipité avec d'autres fugitifs. Son père lui avait également dit qu'après un certain temps ils ne s’étaient plus trop éloignés, par peur d'être raflés par l'une des milices du front d'euthanasie populaire. Ces gens considéraient qu'il n'y avait pas besoin de formulaires d'inscription pour accéder à la ''déconnection'' gracieusement concédée par les autorités. Ils faisaient le sale boulot beaucoup plus rapidement, mais également moins proprement... Mais tout ceci était terminé à présent. Les milices avaient peu à peu disparu faute de participants qui s'étaient administrés eux-mêmes la solution finale, et un calme inquiétant s'était installé partout au fur et à mesure que l'ombre gagnait du terrain. Plus les gens désespéraient et plus les "ombres" se multipliaient sans que l'on sache si les deux phénomènes étaient liés, certains affirmant même que les uns étaient les fantômes des autres. La vie était si rare à présent. Chaque famille avait appris à vivre en autarcie. Personne n'avait plus le désir d'aller voir s'il avait des voisins, s'il existait une quelconque activité là où jadis les rues grouillaient de monde.

Sauf peut-être Amina et son insatiable curiosité.

Elle savait bien que ses parents avaient préparé quelque chose pour mettre un point final au froid et à la faim. Chaque soir en s'endormant elle se demandait si elle allait voir un nouveau matin, si son père n'avait pas choisi cette nuit-là pour lui injecter la dose mortelle qu'il avait sans doute volée à la pharmacie létale de son district. Car c'était bien de ça qu'il s’agissait : éviter à la famille toute souffrance inutile. Attendre le dernier moment dans la sérénité, grâce à la promesse d'une mort douce près de sa femme. Amina l'avait compris, elle l'acceptait mais avait un peu de mal à tenir en place. Et puisque son père avait rencontré Dieu, pourquoi celui-ci ne leur venait-il pas en aide ? N'avait-il aucun pouvoir ? Il la prenait parfois pour une idiote, avec son Dieu invisible.

Un soir, après mûre réflexion, la jeune fille décida d'essayer de piéger son père.

— Papa, tu l'as rencontré où, Dieu ?

— Au réfectoire du district 6, je te l'ai déjà dit.

— Et qu'est-ce qu'il faisait là, Dieu ?

— Euh... Il faisait cuire des nouilles.

Amina s'abstint de tout commentaire, prenant la réponse de son père pour une plaisanterie. Mais deux soirs plus tard elle revint à la charge :

— Papa, pourquoi Dieu faisait-il cuire des nouilles au lieu de s'occuper des gens ? Au lieu d'empêcher toutes les catastrophes ?

Sa mère se reposait à côté. Lorsqu'elle entendit cette question incongrue une sorte de grimace envahit son visage et elle s'empêcha de rire. Amina fit semblant de ne pas s'en apercevoir.   Papa prit un bon moment pour réfléchir pendant qu'un sourire malicieux plissait le coin de sa bouche. Mais il ne répondit pas et partit vers le coffre pour en extraire quelques rations de survie à déguster, des barres de viande séchée ainsi que des pochettes sous vide de farine augmentée. Il ajouta aussi quelques couverts, afin de garder l'illusion qu'il s'agissait d'un repas du temps où l’on mangeait de la nourriture chaude à table. Mais Amina n’avait pas faim. Elle se recroquevilla dans ses couvertures.

La température baissait de jours en jours. Parfois glisser une main à l'extérieur des draps était un véritable suicide. A cause du froid on avait dû amputer un bras à son oncle, avant que celui-ci ne décide d'en finir en rejoignant le programme d'euthanasie massive.  Du moins était-ce ce qu’on avait bien voulu expliquer à Amina, sûrement pour se débarrasser d’elle. Les bras de tonton étaient bizarres, il y avait des stries rouges au niveau des poignets. Elle l'aimait bien, son oncle, mais elle n’appréciait pas du tout toutes ces cachotteries au sujet de son départ. Il avait pris l'habitude de  jouer avec elle aux échecs, par contre lorsqu'elle était plus jeune il détestait les poupées et cache-cache. Son petit frère Thomas avait beaucoup pleuré quand l'oncle avait quitté la famille, de longues larmes avaient abîmé la douce peau de son visage de bébé de 3 ans. Le petit garçon était mort un mois plus tard. C'était un accident, un accident... Thomas avait glissé, il s'était noyé dans la réserve d'eau et ce n'était la faute de personne. Pourtant Amina n'en croyait pas un mot.

Elle avait vu Papa et Maman fondre en larmes après le décès,  au moment de la mise en sac puis de l'externisation de son petit frère. Le garçonnet allait rejoindre le vide où flottait une multitude d'autres sacs mortuaires autour de la grande roue stellaire. Elle n'avait pas pu voir le corps de Thomas, cette forme sous le plastique aurait pu être n'importe quoi. Papa disait que le visage de son petit frère était trop horrible après avoir baigné toute une nuit dans l’eau. Surtout les yeux recouverts d'un voile blanchâtre. Il préférait que chacun garde le souvenir de l'enfant plein de vie que la famille avait connu, il pleurait beaucoup en disant cela.

Mais son père avait aussi pleuré la veille de l'accident. Amina trouvait ça suspect, quelque chose ne collait pas. Pourquoi tenait-il tellement à ce qu'elle ne voit pas son petit frère ? Ce n'était pas la première fois,  elle avait déjà vu des morts... Parfois cela lui revenait, elle revoyait certaines choses dans ses cauchemars.

Des choses qu'elle préférait oublier.



                                             ¤¤¤



Un jour Amina découvrit que son père possédait une seringue remplie d'un étrange liquide vert.

Après avoir beaucoup réfléchi elle était convaincue que le produit lui était destiné. Elle avait toujours été sa préférée. Il lui semblait que son père lui accordait une attention grandissante au fur et à mesure que son couple se resserrait autour de l'idée d'une mort commune. Après tout, n'était-t-elle pas le fruit de cet amour ? La première récolte, promesse d'abondance ? Pourtant elle s'était souvent dit qu'elle ne ressemblait pas trop à ses parents. Rien ne correspondait, les traits de son visage, la couleur de ses cheveux... Les mystères de la génétique. Juste après la naissance de Thomas les autorités avaient diffusé partout un gaz spécial qui empêchait toute grossesse. Elle avait entendu ses parents en discuter. Amina se rappelait que le gaz ne sentait pas bon. Au début c'était surtout ça qui l'interpelait : cette odeur rance et infecte de moisi. Plus tard elle avait prit conscience qu'il y avait autre chose de profondément dérangeant dans ce gaz, quelque chose qui la touchait personnellement... Jamais elle n'aurait d'enfant. A partir du moment où elle l'avait respiré une fois il n'y avait pas d'espoir de retour, elle devenait irrémédiablement stérile. Elle saisissait un peu le concept, bien que la maternité ne soit pas vitale pour son jeune esprit. Peut-être avaient-ils prévu un autre gaz pour éliminer toute vie dans la station, au lieu de laisser tout le monde s'éteindre à petit feu... Un poison qu'ils libéreraient au dernier moment, à l'ultime seconde... Mais quelle était cette seconde à ne pas dépasser ? Qui pouvait en décider, la calculer, l'imposer à tous ? C'était une idée horrible. Tous attendaient la fin, patients, disciplinés. Chacun avait sa petite solution à lui.

Papa, c'était la seringue.

Alors peut-être était-il temps de partir, de découvrir si le centre de la roue était aussi dévasté que ses parents le prétendaient. Si Dieu servait toujours des pâtes chaudes au réfectoire, en plaisantant avec des gens comme Paul Tales.

La jeune fille récupéra le petit sac qu'elle avait mis de côté en prévision de son ''évasion''. Elle avait prévu un petit kit de survie à l'intérieur. Un canif électronique, celui dont la lame au laser pouvait durer plus de cinq heures non-stop et qui se rechargeait tout seul, un peu de nourriture lyophilisée, de la crème à la vitamine A pour la peau... Il n'y avait pas grand chose, parce que le sac était petit et qu'il lui faudrait le dissimuler lors de la promenade du soir, le moment idéal pour s’éclipser.

Elle décida d'emporter aussi sa bille multimédia, vestige de sa vie d'avant. Avec un peu de chance elle trouverait un lecteur pour écouter à nouveau le vieil album de  Tara Angel. La chanteuse l'avait impressionnée, ses cheveux étaient si longs qu'elle était un jour apparue entièrement nue devant les médias, habillée de sa longue tignasse rousse comme d'un manteau de feu. C'était il y avait si longtemps ! Où était Tara à présent ? Certainement disparue dans un sac... Mais ses chansons demeuraient, si on trouvait un appareil pour les lire.

Amina partit dire bonne nuit à ses parents, pelotonnés contre la grande vitre qui donnait sur le vide. Ils accueillirent ses baisers en y répondant avec tendresse, cette chaleur humaine qui ne cessait de croître et qui inquiétait de plus en plus la jeune fille. A chaque fois cela ressemblait à un Adieu... Et si c'était pour cette nuit ? Pouvait-elle prendre le risque de croire que cette nuit était sans danger en planifiant son évasion pour le lendemain ? Elle jeta un coup d'œil à son père puis partit se coucher six mètres plus loin. Celui-ci avait comme d'habitude le front soucieux, peut-être un peu plus que d'habitude. Difficile d'en juger. En essayant de faire la part des choses Amina s'endormit sans s'en rendre compte.

Elle fut réveillée par des éclats de voix provenant de la salle qui contenait la citerne. C'était là que ses parents avaient l'habitude de se retirer pour avoir des discussions ''privées'', des trucs d'adultes. La voix de sa mère résonnait plus fort que celle de son père, et c'est ce qui poussa Amina à se lever pour essayer de comprendre ce qui se passait. Sans faire de bruit elle se dirigea sur la pointe des pieds vers la porte à demi fermée de la pièce puis colla son oreille près de l'ouverture.

— Je ne peux pas, disait sa mère, je ne peux pas te laisser faire ça. Je sais qu'il le faut, je sais qu'il n'y a pas d'autre solution mais c'est mon instinct de mère, je t'en empêcherai… Chéri, je t’en prie, elle est si jeune !

Amina ne bougeait pas d'un millimètre, pétrifiée par ce qu'elle venait d'entendre. Son père, d'un ton sans équivoque, répondit :

— Catherine, nous arrivons en bout de course... Bientôt il sera trop tard pour que je puisse te soigner. Évitons la souffrance du froid pour notre fille ! Supporterais-tu de la voir trembler en réclamant qu'on ai la pitié de lui accorder un peu de chaleur ? Te rappelles-tu de ce qui est arrivé dans le centre commercial, le comportement de gens rendus fous par la faim ?

Voyant l'impact de ce qu'il venait de dire sur le visage de sa femme, il continua avec ferveur la suite de ses explications. Pour la raisonner, l'apaiser. Parce qu'il voulait aller jusqu'au bout.

— Je ne veux pas en arriver là... Mon idée, c'est la seule solution. Il faut que je lui en parle maintenant, on a déjà trop attendu. Elle en est capable, tu sais... On y a travaillé, on l'a préparée. J'ai encore vérifié, la nuit dernière : tout est ok. On n'a pas fait ça pour rien, tout de même... Il faut juste lui expliquer.

— Elle voudra en savoir davantage, tu sais comme elle est curieuse !

— Non, cela marchera si elle en sait le moins possible. Elle n'a pas à être plus grande, elle peut y arriver et partir comme ça, demain par exemple. J'ai tout préparé sans qu'elle ne se doute de rien, je lui ferai la piqûre et tu pourras l'embrasser.

— Alors je veux partir avec elle, soupira la mère, inflexible.

— Impossible. Elle doit partir seule, autrement ça ne marchera pas.

— Je ne supporterai pas de la perdre, je ne veux pas être séparée d'elle !

— Catherine. Tu sais bien que tôt ou tard...

A ces mots le cœur d'Amina cessa de battre un instant et elle eu le souffle coupé. Ses mains se mirent à trembler sans qu'elle puisse l'empêcher et des larmes montèrent remplir ses yeux grands ouverts. Ils devinrent deux profonds lacs où stagnait l'eau noirâtre d'une infinie tristesse, et le temps s'étira, la moindre seconde se transformant en un siècle d'angoisse infinie. Il lui semblait qu'elle était déjà en train de s'éteindre. Mais elle était bien vivante, il lui fallait fuir sans attendre, car son père avait bel et bien pris sa décision.

Elle fit un effort monstrueux pour sortir de sa torpeur et retourna vers sa couche pour prendre délicatement le petit sac qu'elle avait déjà préparé. Le plus silencieusement possible elle rampa pour ne pas être vue puis choisit d'emprunter la porte de derrière qui donnait vers les anciens conduits d'évacuation. Plus petite elle y avait déjà joué, ses parents lui ayant toujours défendu de dépasser une certaine limite où l'on risquait de tomber dans des trous. Des trappes fermaient ces tunnels désaffectés qui servaient autrefois de purge pour la condensation et les eaux de nettoyage des couloirs. Jamais Amina n'avait eu l'intention d'emprunter ces passages interdits, mais il était trop dangereux d'aller directement dans le corridor. C'était le premier endroit où son père allait la chercher, elle en était sûre.

Aussi furtive qu'une souris, elle glissa sans bruit puis se laissa tomber dans l'ornière qui longeait le long couloir où toute la famille avait fait tant d'allers et retours. Les promenades avec Thomas, qui avait disparu pour toujours. Avec son oncle, qui était parti à jamais... Avec ses parents, qui avaient organisé leur départ vers l'au-delà.

A quatre pattes elle parvint au dessus de la première trappe. Celle-ci était à dix mètres de leur cabane en tôle mais toujours visible de la grande pièce où ils avaient construit leur abris de fortune. Il fallait donc aller plus loin. Passé la troisième trappe Amina estima qu'il était impossible que quelqu'un puisse la voir. Elle commença à tirer sur la poignée et le couvercle se souleva de quelques centimètres avec un craquement sec. La poignée lui resta dans les mains tandis qu’avec difficulté elle retenait la plaque qui faillit retomber lourdement sur le sol. Cela aurait fait un boucan d'enfer, tout le monde aurait été alerté... A l'heure actuelle peut-être son père était-il en train de soulever les couvertures pour s'apercevoir qu’Amina n'était pas là. Il se dirigerait ensuite vers le couloir en scrutant l'obscurité, en l'appelant. D'ici il était impossible de l'entendre car les parois étaient parfaitement insonorisées, on pouvait hurler, appeler à l'aide...  Son père pouvait arriver d'un moment à l'autre.

Amina projeta ses pieds vers le trou et plongea dans l'obscurité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire